XVIIème Session – Partie 4 – Chapitre 18 : Présentation de l’étude conduite par le BCG sur « le leader au 21ème siècle »

PARTIE 4 : LEADERSHIP

CHAPITRE 18 : PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE CONDUITE PAR LE BCG SUR « LE LEADER AU 21ème SIÈCLE »

Sous la direction de Marie Humblot-Ferrero, directrice associée au BCG

Le leader est visionnaire … et de plus en plus humain
La crise que nous traversons est polymorphe : sanitaire, économique, politique et elle révèle un besoin renouvelé de leadership. Mais pas de n’importe quel leader !


Pour ces-derniers, cette crise a cristallisé une tendance amorcée au cours de la dernière décennie : est devenue prioritaire la capacité à faire preuve de considération, d’empathie, mais aussi à embrasser des enjeux humains plus larges que ceux de la seule entreprise. L’essor du numérique et du « home office » restructurent profondément le monde du travail et son organisation. Les salariés sont désormais 60 % à souhaiter la possibilité de télétravailler. Mais parce qu’elle réduit les interactions sociales directes, cette évolution risque de fragiliser leur engagement. L’entreprise n’est plus ce lieu unique où l’on se rassemble pour une même durée quotidienne afin d’effectuer une tâche commune. Sans unité de temps, de lieu et d’action, il devient complexe pour les leaders de bien faire jouer ensemble les acteurs. Leur capacité à définir la stratégie, à l’incarner, la partager est donc devenue plus importante que jamais. Mais cela ne suffit plus.
Comment repenser leur manière de tisser et de maintenir le lien avec leurs équipes ? Comment fédérer et transmettre une vision ? Qu’est-ce qui fait l’étoffe d’un bon leader aujourd’hui ? Pour le savoir, BCG a mené une grande enquête auprès de 4 000 actifs à l’automne 2020 en France, en Espagne, au Royaume- Uni et en Allemagne. En complément de cette enquête, nous avons mené une trentaine d’entretiens avec des professeurs et chercheurs experts du leadership, membres de l’Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines. Les résultats invitent les dirigeants à une prise de conscience. Ce que les collaborateurs attendent d’eux a changé. La seule vision, même brillante, ne suffit plus à faire adhérer à un projet et donc in fine, à créer de la valeur. Les facultés de cœur se révèlent désormais être un prérequis.

De quelles qualités les dirigeants doivent-ils faire preuve ?

Les recherches menées par le BCG sur les qualités du leadership en entreprise montrent qu’elles relèvent principalement de trois types. Les excellents dirigeants sont reconnus pour leurs qualité stratégiques (Head, la tête), humaines (Heart, le cœur) et d’exécution (Hand, les mains). Les organisations qui font de ces trois qualités des priorités se révèlent trois fois plus susceptibles de s’améliorer durablement que celles ne se concentrant que sur une seule, voire aucune des trois.
L’exemple de Satya Nadella, le PDG de Microsoft, se révèle à cet égard très parlant. Lors de sa nomination, en 2014, la capitalisation boursière du groupe atteignait 300 millions de dollars. Elle est de plus d’un milliard aujourd’hui. Or, Satya Nadella a souvent déclaré suivre trois principes de leadership : apporter de la clarté en situation d’incertitude (Head), insuffler de l’énergie aux équipes (Heart) et s’attacher à obtenir de bons résultats même lorsque les conditions ne s’y prêtent pas (Hands).
Il n’a cependant pas encore fait assez d’émules. Notre enquête montre en effet que 69 % des entreprises en cours de transformation se concentrent sur les qualités stratégiques, 44 % sur les qualités d’exécution et… seulement 25 % sur les qualités humaines. Ces dernières sont également négligées dans les cursus de formation des futurs cadres dirigeants, qui ne sont dès lors que peu préparés au leadership en entreprise. Ce sont pourtant elles qui définissent le mieux les bons leaders, selon plus d’un sondé sur cinq. En effet, la considération (37 %), l’empathie (33 %), l’écoute (31 %), l’attention portée au développement des équipes (29 %) et la capacité à se remettre en question arrivent en tête des 16 facultés mentionnées dans l’étude pour dresser le portrait du dirigeant idéal. Les qualités stratégiques telles que la capacité à donner du sens (17 %), la capacité à établir des priorités (14 %) et la prise en compte des besoins des clients (14 %) font partie des moins citées par les participants.

Au-delà de quelques variations de pourcentage entre les pays, l’ensemble des participants donnent unanimement la priorité à l’humain. Leurs réponses attestent que de bonnes facultés stratégiques et d’exécution ne suffisent plus pour susciter l’adhésion et l’engagement des collaborateurs. Ces derniers attendent que l’on prenne soin d’eux, qu’on les reconnaisse pour ce qu’ils sont davantage que pour ce qu’ils font.
Autre fait marquant de notre étude, nous observons très peu de différences dans les réponses par genre ou par génération. Il s’agit donc bien d’un besoin qui marque l’ensemble des générations et pas seulement les plus jeunes.
La valorisation d’une humanité forte chez nos leaders est une tendance qui a progressé ces dernières années avec le besoin croissant des employés de retrouver leur place au travail, de retrouver du sens et une raison d’être de l’entreprise. La crise COVID a néanmoins accéléré le passage à une nouvelle ère du leadership et un retour en arrière n’est pas envisageable.
Nos leaders doivent donc prendre conscience qu’un leader visionnaire, capable de prise de décisions rapides, peut compromettre ses résultats s’il néglige ses qualités humaines.
Que les leaders sachent se connecter émotionnellement avec leurs équipes, montrer de la considération, de l’empathie, de l’exigence dans le développement de leurs compétences et de la réalisation personnelle de ses collaborateurs est devenu un prérequis pour permettre aux équipes de s’engager sur le reste (la stratégie, les décisions opérationnelles).
Le leader est donc appelé à se recentrer sur les individus. Selon 36 % des sondés, renforcer la cohésion des équipes est d’ailleurs l’enjeu majeur des dirigeants pour les années à venir, loin devant des sujets de long terme comme l’innovation ou le numérique. Viennent ensuite des priorités comme les nouvelles méthodes de travail collaboratives (29 %) et l’engagement (28 %). Faut-il s’en inquiéter ? La RSE et la transition écologique arrivent en dernière position (13 % du total, mais 17 % chez les dirigeants).

Quelle forme de leadership privilégier en temps de crise ?

Pour une majorité de salariés, les dirigeants d’entreprises se sont montrés à la hauteur de la situation depuis le début de la pandémie de Covid-19. C’est particulièrement vrai aux Royaume-Uni (71 %) et en Allemagne (66 %), tandis que 63 % des Français et 60 % des Espagnols se disent satisfaits.
Comment l’expliquer ? L’attention portée à l’humain demeure une attente forte dans une période aussi complexe et la considération, l’empathie restent des qualités qui arrivent parmi les premières citées. Dans de telles circonstances néanmoins, notre enquête montre que deux qualités additionnelles de nos dirigeants ont été essentielles : la première d’entre elles est l’adaptabilité et la capacité à gérer l’incertitude (alors qu’elle arrive en 8e position hors de ce contexte) et la deuxième, les salariés apprécient une communication active, transparente, sur les décisions prises et la situation financière de l’entreprise, critère habituellement situé en 14e position.
S’il veut être écouté et suivi, un dirigeant en période de tempête doit donc être sur le pont et montrer qu’à ses capacités stratégiques (Head) et d’exécution (Hands) s’ajoutent ses qualités humaines (Heart). En permettant à certains individus de faire preuve de ces trois talents conjugués pour la première fois, les crises sont aussi des moments au cours desquels se révèlent des personnalités de leaders.

Naît-on leader, ou le devient-on ?

Le leadership s’exerce à tous niveaux, des PDG aux managers de proximité. Savoir emmener les gens avec soi est indispensable à la réussite des entreprises et des organisations. Mais cette responsabilité peine à séduire. Seuls 13 % des non-managers aspirent en effet à encadrer à leur tour, un chiffre qui n’a pas bougé dans les cinq dernières années. Si certaines personnes montrent des prédispositions et d’autres non, il ne s’agit pourtant pas d’une faculté totalement innée. Comment dès lors permettre à chacun de la développer ? Selon notre enquête, 64 % des gens pensent qu’elle peut être pour partie acquise et 24 % qu’elle peut l’être entièrement. Les Allemands sont les plus nombreux dans ce cas. Pour eux, pas de déterminisme. Les Anglais en revanche sont les plus enclins à penser qu’il y a dans le leadership quelque chose de spontané (15 % contre 11 % en moyenne).
De façon générale, le leadership se forge principalement par l’expérience. Les qualités nécessaires, qui peuvent être renforcées par des formations ad hoc ou un coaching, sont accessibles à tous. Mais les participants à l’étude considèrent qu’une telle démarche nécessite une implication personnelle. Pour un tiers d’entre eux, il leur appartient d’en faire la demande à leur manager.
Pour autant, les institutions de l’enseignement supérieur ont un rôle à jouer, en expliquant par exemple à leurs étudiants que les soft skills tels que l’écoute, le respect ou l’empathie ont autant d’importance que les hard skills. De leur côté, les entreprises gagneraient à mettre en valeur et promouvoir les salariés faisant preuve de qualités humaines et à cesser de se concentrer uniquement sur leurs performances stratégiques ou d’execution.
Malheureusement cette responsabilité peine à séduire. Seuls 13 % des non-managers aspirent en effet à encadrer à leur tour, un chiffre qui n’a pas bougé dans les cinq dernières années. Signe d’un manque de valorisation de ces fonctions ? d’une absence de modèle inspirants ? Ou plus simplement d’un déficit de confiance et d’encouragement par les managers actuels ?

Quels sont les leaders qui inspirent les salariés aujourd’hui ?

À l’exception notable de l’Allemagne, les salariés choisissent donc des personnalités non issues du monde de l’entreprise lorsqu’on leur demande de désigner le dirigeant qu’ils trouvent le plus inspirant (de ce siècle ou du précédent). Nelson Mandela est cité par 28 % des répondants, le Dalaï Lama par 11 %. Bill Gates et Steve Jobs n’arrivent qu’en cinquième et sixième position, avec respectivement 8 % et 7 % des voix.
Et si l’on se penche sur les sphères d’où sont issues les leaders que les sondés prennent en exemple, celle qui arrive en tête est la sphère familiale et amicale (34 % des réponses), puis celle des personnalités qui ont marqué l’histoire (30 %) ou qui sont reconnues pour leur engagement dans de grandes causes (31 %). Dans un monde toujours plus connecté, sont ainsi plébiscités les meneurs préoccupés par l’humain et par le sort de l’humanité. On observe cependant une différence importante entre les réponses données par les dirigeants et les dirigés. Les premiers sont en effet 36 % à trouver des modèles dans la sphère économique (c’est d’ailleurs leur premier cercle d’inspiration), contre seulement 27 % des seconds. Le chiffre tombe même à 20 % chez les travailleurs manuels. Cette différence illustre l’un des principaux enseignements de cette enquête : il existe une fracture entre la perception des dirigeants et les attentes des dirigés. Un constat qui doit amener à réfléchir à la façon de restaurer leur légitimité.

Faire preuve de leadership dans la « Nouvelle Réalité »

Bien diriger est un art qui conditionne la qualité des interactions entre les salariés. En période de forte incertitude et d’effritement du collectif, il est tout particulièrement vital.
Trois pistes se dessinent pour répondre aux nouvelles attentes des salariés. Les dirigeants doivent d’abord montrer l’attention qu’ils portent à des équipes dont la vie a été chamboulée. En s’assurant de la qualité des relations internes, ils créeront un climat propice au rebond.
Ils doivent ensuite réfléchir à la raison d’être de leur entreprise, qui doit inspirer les employés sur le long terme. Car la crise amène ceux-ci à se poser des questions et à douter du sens de leur travail.
Enfin, les leaders ont intérêt à instaurer une culture de la responsabilité et de l’efficacité, en limitant le nombre des « comités Théodule » qui sapent l’énergie et en encourageant les équipes à donner leur point de vue.
La nécessité de disposer d’une stratégie (Head) et d’une exécution (Hands) impeccables ne doit ainsi jamais faire oublier l’importance à accorder à l’humain (Heart). Dans la crise, c’est ce dernier point qui fait la différence entre un bon et un excellent leader.