XVIIème Session – Partie 3 – Chapitre 14 : L’enjeu des technologies quantiques
PARTIE 3 : LES DÉFIS TECHNOLOGIQUES, DIGITAUX ET INDUSTRIELS POUR LA FRANCE DU 21ÈME SIÈCLE
CHAPITRE 14 : L’ENJEU DES TECHNOLOGIES QUANTIQUES
Jean-Sébastien Tanzilli, Directeur de Recherche et Chargé de Mission pour les « Technologies Quantiques » à l’Institut de Physique du CNRS, dresse un point de situation sur l’ensemble constitué par ces technologies et les performances que l’on peut en attendre à court ou moyen terme.
Contexte et concepts
Les découvertes fondamentales de la physique quantique résultent des travaux établis au début du siècle dernier. Elles ont permis la compréhension des lois qui régissent à la fois la matière, la lumière et leurs interactions. Au-delà des concepts, la physique quantique est à l’origine d’avancées technologiques sans précédent qui ont révolutionné notre vie quotidienne, telles que le transistor et le laser. Les extraordinaires progrès expérimentaux de ces dernières décennies permettent aujourd’hui d’observer des objets quantiques tels que les photons, les atomes ou les ions que l’on a appris à contrôler individuellement aussi bien que collectivement. On peut ainsi les préparer et les manipuler en utilisant les concepts de superposition d’états quantiques et d’intrication. Il en découle un ensemble de nouvelles applications si prometteuses que plusieurs pays, notamment les États-Unis et la Chine, en ont fait des programmes prioritaires. Dans ce contexte, la commission européenne a lancé en 2018, un nouveau programme de type Flagship sur le thème des technologies quantiques, où des résultats spectaculaires sont attendus à court, moyen, et long terme.
Les forces françaises reposent sur les trois opérateurs de recherche nationaux (CNRS, CEA, INRIA) et sur les grands pôles universitaires. Elles sont présentes dans les trois piliers technologiques principaux que sont 1) le calcul et la simulation quantiques (matériel et logiciel), 2) la communication quantique et 3) la métrologie et les capteurs quantiques.
Traiter l’information plus efficacement
L’ordinateur quantique vise la mise en œuvre d’architectures matérielles ultra-performantes, reposant sur la génération, la manipulation via des portes logiques et la lecture de registres composés d’un grand nombre de qubits – unité logique d’information quantique-, afin de réaliser des calculs massivement parallèles, présentant donc une efficacité accrue par rapport aux solutions classiques existantes. Toutefois, pour définir un champ d’applications à ce type d’ordinateur, il faut écrire en même temps les algorithmes de calcul quantique appropriés. Pour l’instant, seul un petit nombre d’algorithmes a été identifié, pour lesquels les calculs quantiques se montrent plus avantageux que leurs équivalents classiques.
Le concept repose sur l’exploitation d’un registre de qubits intriqués, correctement initialisé et que l’on fait évoluer à l’aide d’opérations logiques. Le problème principal réside dans le phénomène de décohérence qui tend à détruire l’intrication des qubits au cours des diverses opérations sous l’effet des interactions avec l’environnement.
L’ordinateur quantique suscite des efforts de recherche considérables aussi bien dans le milieu académique qu’au sein de grands groupes industriels de l’informatique et d’Internet tels Google, IBM, Intel, Microsoft, ou ATOS, qui y investissent des moyens très importants. Plusieurs startups françaises ont récemment vu le jour, comme c’est le cas des sociétés Quandela, PASQAL et Alice & Bob.
Communiquer l’information de manière ultra-sécurisée
Au cours des dernières décennies, la communication de l’information classique a révolutionné la société. Elle permet de véhiculer et router l’information à très haut débit et sur des distances quasi illimitées. Toutefois, une limitation forte existe lorsqu’il s’agit de communiquer des informations de façon pérenne et ultra-sécurisée. La sécurisation des données intervient pourtant dans de très nombreux domaines civil et militaire, et représente donc un enjeu stratégique pour la société en général, les industriels, les banques et l’État. Aujourd’hui, les protocoles utilisés pour le chiffrement/déchiffrement des données utilisent des clés publiques de plus en plus longues, à mesure qu’augmente la puissance des ordinateurs (classiques) capables de les casser.
La cryptographie quantique est une stratégie plus efficace, immune aux évolutions computationnelles. Contrairement aux systèmes standards, elle sert à établir, entre divers utilisateurs, des clés privées, utilisées ensuite dans des protocoles de chiffrement classiques. Elle repose sur la distribution de qubits photoniques générés et mesurés aléatoirement. C’est cet aléa « purement » quantique qui permet de garantir inviolabilité et pérennité des clés et des protocoles de communication qui en découlent. Les photons sont distribués par voie aérienne et/ou par fibre optique, et sont émis, selon le protocole, un à un ou par paires, par des sources dites de photons uniques ou de paires de photons intriqués.
C’est une technologie relativement mûre proposant des systèmes commercialisés par quelques petites entreprises comme IDQuantique en Suisse, et utilisés à plusieurs reprises en situations réelles. Certaines villes bénéficient d’un réseau local de cryptographie quantique permanent (Tokyo, Vienne, etc.). La Chine travaille sur une connexion par fibre optique entre Pékin et Shanghai (~1200 km). En France, Nice Côte d’Azur développe actuellement son réseau, un lien Paris-Saclay Paris-Centre devrait prochainement voir le jour, et la société Quandela commercialise des sources de photons uniques.
Mesurer des paramètres « physiques » avec de meilleures précisions/sensibilités
Les états quantiques de la lumière et de la matière sont très sensibles à l’environnement classique et fournissent des capteurs d’une grande précision, le plus souvent construits sur la base d’interféromètres (atomiques, photoniques). Par exemple, les accéléromètres et gyromètres à atomes froids sont fondés sur l’interférométrie atomique. Lorsqu’ils sont embarqués dans un système en mouvement (navire, avion, etc.), ils sont capables de mesurer avec une grande précision l’accélération ou la rotation du système, et constituent ainsi des appareils de grande fiabilité pour la navigation inertielle. D’autres systèmes existent et couvrent divers champs d’application, tels que les gravimètres à atomes froids, les horloges atomiques, les sondes à base de centre colorés dans le diamant pour la magnétométrie, les systèmes optomécaniques pour les transducteurs quantiques, ou encore ceux reposant sur l’intrication photoniques pour la qualification des matériaux.
Si certains de ces capteurs ont déjà débouchés sur des applications concrètes et au transfert industriel, comme c’est le cas notamment pour les senseurs inertiels à atomes froids avec la société bordelaise MuQuans ou d’autres aux USA et en UK, tous ces instruments quantiques sont continuellement rendus plus compacts, passant tour à tour de la démonstration de laboratoire de type preuve-de-concept à l’intégration de prototypes. Les capteurs quantiques à base de diamant ont également percé le marché, notamment avec la société suisse Qnami.